La divine Amanda raconte son « divin Dali »

La divine Amanda raconte son « divin Dali »

 

Personnage médiatique flamboyant, Amanda Lear, à l’image de son Maître Dali, cache sous le maquillage une femme passionnée, sensible, et lucide sur la vie, l’art et ses contemporains. Victime de sa popularité, et de son physique, nous la connaissons principalement, malgré elle, au travers de sa personnalité extérieure. Aujourd’hui, désireuse de se libérer de la double emprise qu’exerce sur elle sa célébrité, et les propos parfois erronés divulgués sur Salvador Dali, elle s’exprime en toute liberté, jouant la carte du « tout atout cœur ». « Son » Dali », nous touche, nous séduit, et nous passionne. On a écrit sur ce peintre, figure emblématique du mouvement surréaliste, tant de choses sans fondements, qu’Amanda Lear souligne avec humour : « Il suffisait pour certains de le croiser dans un ascenseur pour qu’ils écrivent une biographie sur lui ! »

D’une parole vive, directe et rieuse, elle me raconte sa vie atypique et sa passion de la peinture : un vrai bonheur !

Françoise : Quelle est votre attitude face à la création contemporaine ?

Amanda Lear : Je vais surtout revoir les classiques, je fréquente avec un grand plaisir les musées comme celui de Florence, ou le Prado en Espagne. J’ai eu une grande émotion au Musée de l’Ermitage à Saint- Pétersbourg. J’aime beaucoup les impressionnistes. Si l’art contemporain c’est Picasso, d’accord, par contre Hartung ou même Andy Warhol, n’ont pas de grand intérêt pour moi, à part Bacon. Il habitait en face de chez moi à Londres. De ma fenêtre, je le voyais évoluer en titubant. D’ailleurs Dali l’aimait beaucoup, il le qualifiait de très « british! », il s’exclamait à son propos : « Quel goût exquis ! ». Il pensait qu’il était un excellent « intérior décorator ! ». Il admirait le touché de sa peinture, il appréciait ses nuances, particulièrement ses verts d’eau pastels. En fait, j’aime la tradition de la grande peinture, comme Gauguin, Vuillard ou Bonnard. J’aime avant tout la couleur, la couleur, la couleur ! »

F. :  Quelle influence a eu Dali dans vos choix en peinture ?

A. L. : Avec Dali, j’ai beaucoup étudié l’école américaine comme Malcom Morley*. J’adore l’hyperréalisme et le trompe-l’œil, j’admire la virtuosité en peinture. Mais il faut avouer que Dali a saboté mes idoles ! À cette époque, je suivais aveuglément mon Maître. Ce n’est qu’en étant seule, que j’ai redécouvert toute la peinture que j’aimais. Pourtant, avec lui, j’ai été à une très bonne école. Je le regardais peindre pendant des mois

F. : Vous-même vous peignez. Comment avez-vous commencé ?

A.L. : J’ai fait l’école des Beaux-Arts à Londres. Dali me disait : « Ne me montrez pas votre peinture ! » Il avait un côté provocateur, il pensait : il n’y a jamais eu de femmes peintres ! ». Dix ans après ses déclarations, il m’a dit : « Pour vous calmer, voici une toile blanche, mettez vous dans un coin et peignez ». Et son verdict à été: « Pour une femme c’est pas mal ! ».

F. : Heureusement, il n’a pas réussi à vous décourager !

A.L. : J’aimerais consacrer ma vie à la peinture et en vivre. Mais je suis victime du syndrome de Ludmilla Tchérina. On ne voit que mon personnage de spectacle et on me dit : «  Vous peignez aussi ? » J’aime profondément l’art. D’ailleurs j’ai proposé à de multiples chaînes de télévision de présenter une émission, j’aurais interviewé des artistes, mais à chaque fois j’ai eu la remarque que cela ennuierait les gens ! Si bien que l’on se retrouve avec une pauvreté lamentable de programmes à la télévision !

F. : Dans votre livre, vous voulez démonter la fausse image de Dali?

A.L. : C’est exactement cela. J’ai voulu raconter mon Dali, celui que j’ai côtoyé pendant des années, réhabiliter l’homme véritable, et casser l’image du peintre commercial que certains ont donné de lui, et qui l’appelait « L’Avida dollars ».

Et, c’est en effet ce qu’elle fait, avec humour, honnêteté, lucidité et beaucoup d’amour. Le livre d’Amanda Lear est un vrai plaisir de lecture. On y retrouve tout l’univers des années soixante-dix, sa folie, mais aussi sa semence révolutionnaire de pensées et de créativité qu’elles ont produites quoiqu’on en dise, et dont Salvador Dali est une incarnation et un icône. Elle rencontre Dali en 1965 chez Castel à Paris. Ce n’est pas le coup de foudre ! Pourtant elle s’était intéressée à ses œuvres bien avant. Elle trouve le personnage un peu ridicule dans son comportement : « Comment un aussi grand peintre, pouvait-il se conduire de manière aussi puérile, s’entourer d’imbéciles, être parfaitement infatué ? » Sa première discussion sur la peinture avec Dali est historique ! « Vous faites de la peinture, c’est terrible ! Le pire ce sont les femmes peintres. Les femmes n’ont aucun talent ». On ne peut que la féliciter d’avoir compris tout le génie et la provocation que véhiculait Dali et d’avoir su faire la part des choses. Le premier compliment de Dali envers elle, sera: « Vous avez une très jolie tête de mort ! » Bref, tout présageait une fidèle amitié de quinze ans !

Plus qu’un livre d’anecdotes sur la vie de Dali, le récit d’Amanda Lear raconte tous les détails importants de l’existence du peintre. Ses manies, ses enthousiasmes, ses travers, ses exubérances, mais aussi et surtout, ses goûts en peinture et ses choix, la finesse de son esprit, sa manière de travailler, et tout simplement de vivre. Un être attachant se dégage de ce portrait vibrant et intime. Dali, qui se disait génial, que l’on qualifiait de narcissique à l’extrême, a su lui dire un jour en la voyant triste, avec l’élégance du cœur : « J’aimerais que vous soyez heureuse, je crois bien que vous êtes un archétype ; vous êtes unique. »

C’est en effet ce que l’on ressent, en parcourant cette double biographie. On se sent nostalgique de cette vie où le mot « célébrités », désignait encore des êtres porteurs d’une authentique singularité, empreinte de tous les talents qu’elle exige…

Univers des Arts.

* Malcolm Morley : Né à Londres en 1931, chef de file de l’hyperréalisme américain.

Mon Dali, Amanda Lear, Editeur : Michel LAFON

 

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Entretien avec Pascal Bruckner, ou le point de vue du philosophe sur l’art contemporain.

Entretien avec Pascal Bruckner, ou le point de vue du philosophe sur l’art contemporain.

 

Lire, écouter Pascal Bruckner, c’est marquer un temps de pause dans la frénésie du monde, c’est prendre un peu de recul, c’est se positionner comme lui, légèrement de côté. Interroger ce philosophe et écrivain, c’est aussi souligner la nécessité de prendre de la distance afin de répondre ou de poser les questions sur l’art…

Françoise : Existe t-il une responsabilité du philosophe et si oui, laquelle ?

Pascal Bruckner : Le philosophe a une responsabilité dans ses écrits, il peut transmettre des idées fausses, il doit donc accepter qu’elles soient réfutées par d’autres. Etre responsable, c’est s’engager dans une possibilité d’une erreur que l’on communique et que d’autres ont essayé de contredire. Le personnage qui est mort aujourd’hui, c’est celui du prophète. Quand la philosophie dégénère en prophétie, c’est là quelle devient irresponsable. La responsabilité de la philosophie c’est l’art de reposer les bonnes questions, de redéfinir le débat, autant que dans celui de tenter d’apporter les bonnes réponses…

Françoise. : Vous avez prononcé le mot art…

 P. B.  : Le philosophe est irresponsable dès qu’il pose des dogmes et qu’il ne se soumet pas à l’argumentation. Dans une société démocratique l’argument d’autorité a disparu, il a été remplacé par le débat avec les autres. Il faut garder une position de suspicion vis-à-vis de son propre discours, respecter les opinions adverses. L’intellectuel lui, intervient sur tous les sujets, la Tchétchénie, l’euro etc.

F. : Ce qui m’a mis en éveil dans votre dernier livre « Misère de la postérité » et permis d’établir une relation entre le philosophe et l’art, c’est cette idée de se situer «  à côté » des choses, en marge par rapport à la spirale du progrès matérialiste de notre société…

 P.B. : J’oppose cette notion à l’attitude du rebelle. Le rebelle, c’est celui qui veut affronter de plein fouet le système, alors que l’affronter c’est toujours le servir, car finalement il vous reprend, il vous récupère et tout ce que vous dites contre lui finit par l’alimenter. Je propose l’attitude du déserteur, qui se tient à côté, qui ne se soucie pas de détruire un pouvoir, mais qui essaie d ‘agir hors du champ du pouvoir. On peut appliquer cela à l’artiste, mais c’est plutôt dans son regard qu’il est à côté, que dans ses positions, il porte sur le monde un œil neuf, un œil qui n’est pas embarrassé par toute les stéréotypes, en tous cas c’est ce à quoi il vise. Il y a bien sûr des artistes stéréotypés et l’anticonformisme n’est jamais qu’un stéréotype comme les autres.

F. : Quel est votre point de vue sur l’art contemporain ?

P.B. : J’ai un double rapport de méfiance, je sens l’arnaque, le discours théorique délirant, tout un aspect relève de la fantaisie, mais par ailleurs il y a des tas de créateurs qui me passionnent et en même temps sur l’art contemporain lui-même je pose un point d’interrogation.

F. : Pourquoi ?

P.B. : Tout cela m’a l’air de procéder plus d’un concept que d’une véritable capacité inventivé. Comme si on était dans l’épuisement des post avant-gardes. L’art est souvent récupéré par la publicité, il y a une convergence de tous les arts dans le publicitaire. Ainsi beaucoup de musées, sont plus beaux aujourd’hui que les œuvres dont ils disposent ! Ils ressemblent à des boutiques, il y a là une sorte de confusion, publicité, art, musées, boutiques.

F. :  Quels sont vos goûts artistiques personnels ?

P.B. : J’adore l’art surréaliste et l’hyperréalisme, mais je sais que cela ne suffit pas…

F. : Pourquoi avez-vous ce sentiment de culpabilité ? L’art est encore une terre de liberté…

P.B. : Oui, dans ce domaine, il n’y a pas de dictature du présent…Pour moi, l’art contemporain ce sont les œuvres que j’aime…C’est un tableau du 18ème ou du 20ème, ce n’est pas forcément ce que je vois sous mes yeux aujourd’hui. C’est la même chose en littérature. La littérature n’est pas uniquement ce que l’on lira à la rentrée de septembre. Il faut rendre ses droits à l’inactuel…Ma perception est donc à la fois indulgente et anecdotique. Parfois j’ai des coups de foudre pour des œuvres nouvelles. Mais assister au processus de création, c’est assister aussi à l’accumulation des déchets. Il y a énormément de peintres et de romanciers qui vont disparaître. Nous avons été élevés dans l’idée que le génie était maudit, donc tout ce qui se faisait était entouré d’une sorte de révérence, comme si à tous moments un nouveau Picasso voyait le jour. Notre attitude n’est plus du tout celle des hommes d’il y a un siècle qui avaient des des goûts très définis, qui jugeaient et condamnaient. Nous avons peur de rater le petit maître qui va grandir, et donc on s’extasie systématiquement sur le nouveau et on n’ose plus dire, c’est nul…

F. : C’est le ‘politiquement correct » !

P.B. : Oui, « l’artistiquement correct » !

F. :  Si on n’aime pas l’art contemporain on est décrété réactionnaire ou suspect… Aujourd’hui on peut constater qu’il y a une crise du sens dans l’art, le penseur doit donc se mettre en retrait pour être visionnaire. L’artiste peut-il être un médium ?

P.B. : Pour les grands artistes, certainement. Par leur vision du monde qui s’incarne, mais on a la plupart du temps le sentiment assez pénible du « déjà vu », on n’a pas la sensation de l’original, mais plutôt de copie de copies, c’est l’effet de production de masse probablement. Des centaines d’artistes font la même chose avec des variations infinies, du coup ils vulgarisent un procédé inventé par quelqu’un dont on a oublié le nom et cela dilue la révélation et produit un effet de supermarché. Le plus grand constat est que l’art se rapproche de plus en plus de la marchandise et le choc devient plus rare. La copie dévore l’original.

F. : Dans son rôle de visionnaire, l’artiste et le philosophe se rejoignent-ils quelque part ?

P.B.. : Les matériaux changent, mais l’intuition est la même, par inspiration, l’artiste crée un univers dont le romancier se rapprocherait plus que le penseur.

F. : Le thème de la beauté et de la séduction vous a beaucoup préoccupé, comme dans votre roman « les voleurs de beauté ». Pour vous, y a t-il une beauté, une harmonie?

P. B.  : Il faut opposer la beauté physique à l’esthétisme. L’une est plus fragile, plus éphémère, alors que le tableau perdure. Mais par ailleurs, une bonne œuvre n’est pas toujours belle. IL peut y avoir une œuvre forte et très « laide », elle peut être choquante. Tout art moderne est un défi à la Beauté à l’Harmonie. C’est un art en mouvement qui accompagne notre société, la notion d’équilibre qui existait dans l’art classique a disparu, il est partagé entre la subversion et le reflet du monde. On peut trouver très beau une peinture dont le sujet est effrayant, comme chez Bacon par exemple, seul l’artiste peut transcender la charogne.

F. : « Quelque chose » échappe à l’immédiat…

P.B. : L’art ressemble trop souvent à l’époque, on reste dans le sériel, mais en même temps le chef-d’œuvre a toujours été rare, rétrospectivement on s’en rend compte. La difficulté aujourd’hui est à la fois de garder un esprit ouvert et un esprit critique : ouvert pour ne pas rester son temps, critique pour ne pas le subir et tomber dans le snobisme de l’extase systématique. On est sans cesse tiraillé entre le sarcasme et la lâcheté, mais je ne sais pas si on peut juger une société uniquement sur la qualité de son art, il y a tant de problèmes…

F. :  L’idée est peut-être de stimuler l’art par le sens ?

P.B. : Nous sommes oui peut-être à l’aube d’un nouveau style, à la recherche d’une forme nouvelle. L’art pourrait se renouveler aussi à partir des technologies contemporaines. Mais il y a un autre fait : l’art actuel concerne très peu de gens aujourd‘hui, seulement les acheteurs, les galeristes, une élite…

F. :  Est-ce un problème de notre temps ou simplement un manque de distance ?

P.B. : Plutôt un manque de distance, il faut l’espérer. Il est important de différencier le choc émotif et le choc de la surprise de la mode et de le situer « côté » des choses ne suffit pas, encore faut-il avoir du talent ! La pathologie contemporaine consiste à préférer la théorie sur la peinture à la peinture elle-même, la théorie du roman à l’œuvre. C’est l’héritage des années soixante-dix, c’est le piège à gogos qui conduit à une théorisation extrême comme dans la musique contemporaine.

F. :  Il suffirait pour se faire une idée équilibrée d’accorder sa confiance à l’émotion, d’être touchés ?

P.B. : Oui, soyons touché !

F. :  Seriez-vous tenté par l’écriture d’un traité d’esthétisme ?

P.B. : Non, je ne suis pas compétent en la matière, j’en reste à la beauté physique !

F. : Nous manquons de références nouvelles en terme de pensées artistiques, se pencher sur le sujet du sensible peut être urgent ?

 P.B. : Je m’y penche tout de suite !

Même si Pascal Bruckner reprend sa position favorite de recul en souriant et retourne à ses pensées de philosophe, cette aparté en pays d’art souligne les liens riches et indispensables possibles entre l’esprit et l’art, avec comme dénominateurs communs, le sensible et l’émotion et surtout cette attitude ni rebelle ni rebelle comme la meilleure place face au feu ou face à l’amour : trop près on brûle, trop loin on est glacé…

Merci Monsieur le philosophe.

Univers des Arts.

A lire de Pascal Bruckner : Misère de la prospérité : la religion marchande et ses ennemis aux Editions Grasset.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le Caravage et Vélasquez au Palais Doria Pamphili à Rome.

Le Caravage et Vélasquez au Palais Doria Pamphili à Rome.

Parcourir Rome plonge l’esprit dans un bain effervescent de sensations entre histoire et actualité, entre éternité et réalité dans une alternance permanente d’obscurités et de rayonnements intenses. De ruelles en places, de Palais en églises, l’on suit un chemin d’éveil jalonné de richesses esthétiques à la fois passionnantes et atypiques qui ravivent en nous le sens d’une quête artistique.
Au détour d’une place, un bâtiment sombre aux fenêtres grillagées comme une forteresse n’incite pas à la visite. Pourtant, au-delà de cette austérité apparente, se cachent des merveilles lumineuses, dorées et subtiles. Le Palais Doria semble livrer ses trésors avec prudence, comme pour mieux souligner sa magnificence en préservant une part de mystère.
A l’origine, résidence du Cardinal Fazio Santoro, le Palais passe en 1601 au Cardinal Pietro Aldobrandini car il faisait partie de la dot de sa nièce Olimpia Aldobrandini, seule héritière qui épousa en 1647 Camillo Pamphili. Ce dernier devint un collectionneur averti et défenseur des grands artistes de son temps comme le Caravage, parfois contre l’avis et la pensée de son temps. Le premier inventaire présente un des tableau du Caravage : « Le repos de la Sainte Famille pendant la fuite en Egypte », et c’est au cours de la même époque qu’entre dans la collection un autre chef-d’œuvre soulignant son goût personnel : « Le portrait d’Innocent X »par Vélasquez.
Le salon Poussin nous accueille avec douceur, ainsi nommé, car les toiles de paysages dans des harmonies assourdies qui tapissent ses murs à la manière d’un papier peint, sont l’œuvre de Gaspard Dughuet, beau-frère du peintre Nicolas Poussin, et peintre préféré par les Pamphilj jusqu’aux environs de 1650.
Vient ensuite la salle des Velours ainsi nommée par la présence des tentures génoises de la fin du XVIIIème siècle, puis la lumineuse Salle de Bal, ancien salon de Musique, redécorée au XIXème siècle, aux murs recouverts de soie française, éclatante de lumière dorée à souhait, au parquet ciré évoquant les fastes et les plaisirs de la vie mondaine…
En avançant dans notre visite, on se sent transporté en dehors du temps tout étonné d’entendre encore l’agitation de la Via Corso au-dehors.Puis on découvre les trésors de peintures des Galeries disposées en carré et donnant sur une cour intérieure dont le fleuron de cet ensemble est la resplendissante Galerie des Glaces.

Parmi les œuvres maîtresses du Palais figure «  Le repos de la fuite en Egypte » qui est une des première peinture majeure de la jeunesse du Caravage. Cette scène du nouveau testament est innovante, tant par l’audace des attitudes (la position de l’ange de dos jouant du violon) que par la précision de l’exécution (on peut lire chaque note de la partition de musique). Elle exprime le désir du Caravage de mettre l’accent sur l’aspect naturel et vivant de cette scène biblique. Cette sensation se précise en observant en parallèle, situé juste à côté, le portrait de « la Madeleine », et l’évidence d’une relation de propos s’installe entre ces deux tableaux.
En effet, la Madeleine présentée dans une attitude de repentir, ses bijoux abandonnés jonchant le sol, symboles de sa vie mondaine est avant tout un témoignage de la foi et de la tendresse particulière qu’elle évoquait pour le peintre.
En regardant plus avant, on peut remarquer tout d’abord la même inclination de la tête entre Marie (dans « le repos de la fuite en Egypte ») et la Madeleine, puis la même larme coulant le long de leurs joues. D’autre part, la Madeleine qui semble par sa pose, porter un enfant imaginaire, trouve son écho dans la place qu’occupe Jésus dans les bras de Marie.
Le brocart rouge qui sert de ceinture à Madeleine éclate Sous cette vision plus approfondie, comme le symbole d’une maternité spirituelle. Sa souffrance qui se lit sur son visage n’est peut-être pas, en fin de compte, celui d’un repentir, mais plutôt celui de sa difficulté à être reconnue comme une personne digne de foi aux yeux de tous. La Madeleine semble porter en elle le concept du message christique, avoir accès à une dimension spirituelle évidente au regard du Caravage, malgré sa position sociale. Les similitudes picturales voulues par le peintre unissent les deux plus fidèles compagnes du christ dans une gémellité d’esprit. Le Caravage, en créant sur cette relation d’attitude entre les deux femmes, marque son attachement à une lecture de la religion très humaine, se situant au-delà de la morale. C’est en cela que le Caravage est génial, audacieux et révolutionnaire pour son temps, dans le sens noble du terme. Il captait dans la vie quotidienne son caractère de sacralité et cherchait à exprimer la foi en dehors du statut social des êtres. Pour lui, le sacré transpirait de la vie, dans une relation plus intense que celle exprimée dans le contexte de la religion officielle. Toute l’œuvre du Caravage est orientée dans ce sens et développe une puissance d’évocation spirituelle totalement originale, tant par sa facture très particulière, dues principalement aux ombres et lumières contrastées qui architecture son style, que par sa l’intention donnée à ses sujets. Son contact direct avec le philosophe Giordano Bruno, brûlé pour ses idées innovantes dans le domaine de la religion sur la place de Campo di Fiori à Rome, n’est d’ailleurs sans doute pas totalement étranger à sa démarche de pensée en tant qu’artiste.
Cet ensemble fait de lui un peintre hors norme échappant à l’influence de son époque, que Camillo Pamphili eu le courage de prendre sous sa protection.
Comme un bijoux dans un écrin de velours sombre, la petite salle « Vélasquez » expose le portrait d’Innocent X réalisé en 1650. Il résonne comme un écho aux œuvres du Caravage. La force d’autorité, à la fois morale et religieuse exprimée dans ce portrait saisissant apparaît en effet comme une affirmation de la nécessité de l’engagement pictural du Caravage, comme une invitation à sa rébellion toute en finesse et en subtilité. La dureté du regard du pape, la puissance et la conviction d’une pensée ancrée dans des certitudes qu’évoque son attitude ravivent l’audace et les innovations de l’œuvre du Caravage en les justifiant pleinement. Vélasquez lui-même a, sans l’idéaliser, insisté sur l’aspect austère et renfrognée du pape réputé pour être un despote à l’âme vindicative. 
Ce portrait nous permet de revenir peu à peu à la réalité de notre monde, en faisant le lien avec la peinture contemporaine, celui-ci ayant inspiré à Bacon une version surprenante et fascinante du pape Innocent X, l’une de ses œuvres majeures, en reprenant les indices de la difformité faciale indiqués par le peintre espagnol.
Si vous allez à Rome, donc, ne manquez pas de visiter ce Palais Doria Pamphili, un peu en retrait d’autres splendeurs plus évidentes, mais qui réserve des contemplations édifiantes et la certitude d’un voyage en dehors du temps…

Univers des Arts

Galleria Doria Pamphili, Piazza del Collegio Romano, 200186 Roma
tel : 00 39 06. 6797323

Horaires :

Du lundi au dimanche : de 10h à 17h.

 

 

 

 

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Pierre Arditi, le fils du peintre…

Pierre Arditi, le fils du peintre…

  Pierre Arditi, le fils du peintre…

Parfois on se pose la question fondamentale de l’inné et de l’acquis, on s’interroge sur ce qui motive une vocation, incline les choix d’une existence, façonne une filiation. S’il est des cas qui restent incompréhensibles, au point que certains parents ont le sentiment d’avoir engendré des êtres venus d’une autre planète, parfois pour ne pas dire souvent, la pomme ne tombe pas loin du pommier comme on dit.

Quand on mesure avec quelle aisance, Pierre Arditi pratique son métier d’acteur, avec quel brio il parcourt les chemins arides qu’exige la discipline théâtrale, nous sommes presque soulagés de constater qu’il y a une origine logique à son talent, son père peintre : Georges Arditi. Pourtant, même si ceci n’explique pas toujours cela, il est incontestable que son exemple, entre tableaux et décors de théâtre, a teinté de manière indélébile l’enfance du fils.

 

Françoise Bongard. : A votre avis, en quoi le métier de votre père a-t-il influencé le vôtre et quels sont les souvenirs que vous gardez de votre enfance en sa compagnie ?

Pierre Arditi : Mon père, comme beaucoup d’artistes dans les années 1950, pratiquait sa peinture, mais concevait, parallèlement des décors de théâtre. J’ai donc été très tôt confronté à cette vie artistique qui, à cette époque, était foisonIl a créé des liens avec des personnalités marquantes. Des peintres, des sculpteurs, musiciens, tout cela était très mélangé. Nous avons donc, ma sœur et moi, été très vite plongés dans cet univers de la peinture mais aussi du spectacle.

F. : Vous avez donc toujours connu cette atmosphère artistique…

P.A. : Nous étions petits. À cette époque, mon père peignait de manière figurative, mais ce qui nous intriguait, c’est qu’il y avait toujours dans ces toiles, des portes et des fenêtres, dans des maisons ou des appartements, qui ouvraient sur des paysages imaginaires…

F. : La peinture de votre père possède cette dimension poétique, fondatrice de son univers, qui signe sa particularité…

P.A. : Oui. J’ai appris ainsi à m’échapper de ce qui pouvait constituer un carcan, très jeune déjà, grâce à ses œuvres, je m’évadais dans ma tête par ces portes et ces fenêtres…

F. : Pouviez-vous accéder à son atelier, participer à son travail ?

P.A. : On ne pouvait pas l’approcher de trop près. On regardait, il nous parlait, il nous racontait des choses concernant ses peintures, mais nous n’avions pas l’autorisation de toucher ! Plus tard d’ailleurs, quand mon fils est venu au monde, cela m’a, à la fois amusé et fait bondir de constater que lui avait obtenu le droit de repeindre sur les toiles !

F. : Vous avez donc été plongé dans une atmosphère de créativité permanente…

P.A. : C’était l’atmosphère d’une existence d’artiste, les choses n’étaient pas conformes, les gens rentraient, sortaient, venaient dîner, restaient dormir quelques fois…La maison était une grande roulotte ! On ne nous envoyait pas nous coucher à 8h sous prétexte que l’on avait école le lendemain, nous étions totalement mêlés à cette vie-là…

F. : Sur le plan de sa carrière, votre père à accédé rapidement à une certaine notoriété ?

P.A. : La peinture figurative qu’il a pratiquée pendant les années quarante jusqu’à la fin des années 50, où il a basculé dans le cubisme, se vendait plutôt bien. Il avait une clientèle bourgeoise, mais comme il se comportait en ours et en franc-tireur, dès qu’il se sentait tomber sous l’emprise de riches collectionneurs, il se lançait des défis, tentaient d’autres recherches picturales. Quand on suit le parcours de sa peinture, elle apparaît extraordinairement diversifiée. Si parfois elle se rapproche de celle de  Georges De La Tour ou Balthus dans sa période figurative, il rejoint Meissonier quand il aborde le cubisme. Il a donc évolué au sein de sa propre peinture, ce qui souligne une intense créativité.

F. : Votre père a donc eu cette volonté de ne pas s’enfermer dans un carcan, de se tenir éloigné des influences de la mode, de ne pas succomber à la séduction du succès en cherchant perpétuellement une prise de risque personnelle.

P.A. : Il s’est beaucoup diversifié. Il a par exemple fait des illustrations pour des livres, des bandes dessinées dans des journaux tout en restant tout le temps attaché à son activité de peintre.

F. : Votre père a donc été un exemple, à la fois de liberté et d’intégrité dans ses rapports avec son métier.

P.A. : Oui, totalement, mais par moments, et je le dis avec recul, admiration et tendresse, il s’est quand même ingénié à « casser » des œuvres auxquelles il tenait motivé par le désir de ne pas conserver des toiles qui pouvaient l’enfermer dans un certain confort artistique, et c’est pour cette raison, à, mon sens, qu’il n’a pas la place qu’il mérite aujourd’hui. Mon père a toujours eu peur de tomber dans une routine, de travailler afin de vendre sa production à ces fameux bourgeois collectionneurs…

F. : Tout au long de votre vie vous êtes sans cesse rester en contact avec le milieu de l’art, mais quels ont été vos premières émotions artistique en dehors de votre père ?

P.A. : C’est mon père qui m’a avant tout initié à l’art. J’ai ensuite découvert d’autres artistes, apprécier le quattrocento, les primitifs flamands, certains impressionnistes, Picasso bien, sûr, Matisse. J’ai fait ainsi mon propre chemin. Quand j’ai un peu de temps, j’aime visiter les galeries ; je fréquente moins les grandes expositions. Je pense que c’est dans les galeries que l’on découvre vraiment la peinture, les salons exposent les artistes consacrés.

F. : Vous avez envie d’être séduit, surpris ?

P.A. : Pour connaître les jeunes peintres, et parfois redécouvrir les moins jeunes, parcourir les galeries semble être la meilleure attitude. C’est ainsi que j’ai eu un coup de cœur pour un peintre américain Robert Guinan. Auparavant j’avais été touché par Rothko, Bacon, et ma dernière émotion va à Anselm Kiefer, pour ses structures mais surtout pour sa peinture…

F. : Vous gardez cette ouverture d’esprit qui permet d’accéder à des surprises et qui préserve la capacité d’être ému ?

P.A. : Oui, mais je peux aussi me démarquer du « goût » ambiant, je ne suis pas un suiveur, certaines choses m’indifférent profondément, comme Jeff Koons par exemple. Son chien rose dans les jardins de Versailles ne me touche pas le moins du monde ! Cela ne me dérange pas, mais je peux contester ce travail qui pour moi est plutôt de l’ordre du gadget !

F. : Vous avez intégré la valeur d’un parcours artistique et vous contemplez le monde de l’art avec un regard lucideF. P.A. : L’art épouse ma vie et j’avance dans l’existence en étant prêt à recevoir un certain nombre de choses et à en refuser d’autres en fonction du fait qu’elles ne me touchent pas, tout simplement.

F. : Ce regard agit d’ailleurs sur votre vie d’acteur ; vous êtes amené à faire des choix…

P.A. : Oui, mais pas uniquement. Il y a certaines orientations que je prends parce que je ne peux m’en passer et d’autres qui sont motivées par la nécessité de gagner ma vie, même si je le fais le plus honnêtement du monde. Je sais que ces choix ne révolutionneront pas l’univers du spectacle et que j’aurais pu faire autrement si ma vie matérielle m’en avait laissé la possibilité. Une carrière d’acteur ne peut pas comporter que des chefs-d’œuvre ! Je me partage entre des choix agréables, mais sans plus et d’autres plus ambitieux, plus délicats, que je ne peux pas toujours m’offrir…

F. :  Mais tout cela fait une œuvre…

P.A. : On ne peut pas être Dieu !

Le fils du peintre après avoir témoigné de son admiration pour son père, confirme par son propre parcours de vie cette filiation de l’esprit, cet héritage artistique incontestable qui laisse des traces de talent dans les générations qui se succèdent. Pierre Arditi retourne à son itinéraire d’acteur, conscient que Georges Arditi, le peintre, est toujours un peu là, sur scène, en parti responsable de sa vocation.

 

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La Villa Medicis

La Villa Medicis

La Villa Medicis 

Dés l’entrée de la « Villa Medicis », l’Académie de France à Rome, Mercure nous accueille, ses ailes à ses chevilles semblent frémir, il tient en équilibre, léger et aérien, un pied posé sur la bouche ouverte d’une figure antique d’où jailli une eau limpide au creux d’une vasque romaine.

La beauté de la Villa rayonne une paix chargée d’histoire de création artistique,

C’est un véritable bonheur de se retrouver dans ce lieu mythique, qui depuis l’Antiquité a diffusé des trésors de créativité.

Les jardins à l’Italienne, entre allées conduisant aux différents ateliers et havres de paix fleuris, entourés de bosquets de lauriers odorants, incarnent un concept classique d’architecture floral que l’on rencontre dans toutes les grandes villas d’Italie. La part des jardins organisés et l’autre part plus sauvage symbolisent les échanges entre les mondes rationnels et irrationnels, entre le conscient et l’inconscient.

D’ateliers en terrasse et des salons au panorama qui s’envole sur Rome, nous sommes transportés dans des rêves esthétiques les plus inespérés, comme en dehors du temps, et l’on mesure le privilège d’être accueilli comme hôte de ce lieu mythique.

 

Petit résumé historique :

Site important depuis l’Antiquité, la Villa Médici a connu de nombreuses transformations depuis la première petite bâtisse édifiée par le Cardinal Ricci,  appelée « Casina Crescenzi » en 1554.

C’est le cardinal Ferdinand de Médicis grand collectionneur et Mécène qui, en se portant acquéreur du domaine en 1576, lui donnera un rayonnement essentiel. Il charge l’architecte florentin, Ammannati de concevoir la Villa comme un musée, plante dans les jardins des essences rares et édifie un petit pavillon le « Studiolo » sur la muraille antique d’Aurélien.

En 1587, le cardinal de Médicis est appelé à Florence pour succéder au trône de Toscane et laisse les travaux inachevés. La Villa retrouvera pleinement son rôle de palais des Arts au XIXe siècle avec l’installation de l’Académie de France à Rome, coïncidant avec la politique des grands travaux entrepris par Louis XIV au Louvre, aux Tuileries et à Versailles. Créée sous l’impulsion de Colbert et de Le Brun, elle accueillait à la fois les premiers prix de Rome et des protégés de quelques seigneurs. Aux peintres et sculpteurs s’ajouteront peu à peu les architectes, les musiciens et les graveurs. Boucher, Fragonard, Houdon, David, en seront les premiers illustres invités.

Ingres en sera le directeur de 1835 à 1841. Tout au long du XIXe siècle les artistes comme Baltard, Berlioz, carpeaux, Davis d’Angers Debussy ou Delacroix en seront les pensionnaires. C’est le peintre Balthus qui devient le directeur en 1961, nommé par André Malraux, il entreprend une grande restauration et développe les manifestations culturelles.

La durée du séjour est passée de quatre ans à deux ans, et de 12 pensionnaires à vingt-deux. La Villa Médici tend à favoriser les rencontres Franco-italiennes et joue un rôle décisif au sein de la vie culturelle Romaine et Européenne. Le directeur actuel est M. Richard Peduzzi.

Aujourd’hui, la Villa Médici est rattaché au Ministère de la culture et le concours d’entrée ( ouvert à tous – Plus d’info : Magali Fradin – Tel : 01 40 15 73 43 – magali.fradin@culture.gouv.fr, est organisé par la délégation aux arts plastiques (DAP).

 

Académie de France à Rome

Viale Trinità dei Monti 1 – 00187 – Roma

Tel : +39 06 67 61 291 – Fax : +39 06 67 61 243 – stampa@villamedici.it

 

Univers des Arts

 

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Christian Bobin : « La poésie est une douceur violente… »

Christian Bobin : « La poésie est une douceur violente… »

Au cœur d’un bois, dans la discrétion protectrice de la nature, Christian Bobin écrit face aux champs, face au spectacle des saisons qu’il contemple en écoutant leurs murmures et leurs bruissements invisibles. Il entretient avec la vie une relation intime et parvient à capter ses secrets et ses trésors dans un échange privilégié et complice.Cette connivence l’inspire et se faufile en douce dans ses livres. En respirant le souffle subtil des choses simples, vivantes, il se fait leur confident. En poète, il ouvre son regard intérieur, se place au-delà des apparences, devient voyant, et nous raconte ses visions avec des mots qui percent la cécité de notre esprit, nous dévoilant ainsi la lumière du monde.Sa présence bienveillante favorise un échange franc nourri de sa profondeur de pensée et scandée de ses chaleureux éclats de rires. Sa solitude désirée ne l’a jamais coupé des relations humaines, bien au contraire, mais seulement éloigné de l’agitation inutile du monde

F. : Quelles ont été vos premières émotions artistique
Christian Bobin : Un de mes premiers éblouissements, c’est celui de Sanson François jouant le concerto de Ravel pour main gauche. Il y a quelque chose dans l’obscurité grondante de cette musique, qui vient de très loin, sans doute de bien plus loin que Ravel et de l’interprète et qui arrive à l’heure exacte au rendez-vous, chez moi au Creusot, à l’instant où l’adolescent que je suis écoute pour la première fois cette musique. Elle donne du cœur, du courage et c’est ce que l’on peut attendre de meilleur d’une musique. Elle creuse une pensée sur la vie, elle donne à entendre quelque chose qui touche, non pas à l’esthétique, mais à la vie. Dans ce sens, je dirais que l’esthétique n’est rien, qu’elle n’existe pas. Ce qui existe c’est la manière dont un être humain transmet la densité de sa propre expérience de vie à un autre. Cette fraternité-là, c’est la substance de l’art.

F. : L’être humain est donc un véhicule capable de recueillir et d’exprimer une créativité potentielle, déjà présente…
 C.B. : Il est possible que la plus grande partie de cette vie soit invisible et que nous ayons à en devenir des transmetteurs, mais la plupart du temps nous y faisons obstacle. Tournés vers nous-même nous devenons opaques, nous offrons une résistance à quelque chose qui demande juste à passer à travers nous pour aller plus loin et cette vertu d’effacement, avant de la trouver un peu plus tard chez ce que l’on appelle aussi improprement les « saints », je l’ai trouvé chez certains artistes, peintres, écrivains ou musiciens.

F. : Les artistes ont donc le rôle de révéler le monde invisible…Quand vous écrivez, vous avez une complicité privilégiée et très particulière avec les choses visibles, vous avez la capacité d’en dégager l’esprit…
C.B. : Je serais assez enclin à penser que nous sommes tous doués de cette sensibilité-là, mais qu’il est nécessaire que l’on soit réveillé. La vie en société se fait d’autant plus facilement qu’on y est comme absent, c’est une vie de somnambule. On fait d’autant mieux les choses sociales que l’on ne les pense pas, elles se pensent et agissent à notre place et en notre nom. On ne peut naître que de l’effacement et du retrait au monde. Pour cela il suffit parfois d’entendre parler d’autre chose que de ce que l’on vous montre comme nécessaire, inévitable et fatal. Une parole d’un livre d’André d’Hôtel, l’étrangeté d’une peinture de Georges de la Tour, ou d’autres, comme « Le Philosophe » de Rembrandt, qui est comme une fève de lumière dans un gâteau d’ombre, nous racontent autre chose que celles qui ont cours, marchandes et obligées.                 Au fond, un tableau, une musique ou un livre est tout à coup devant nous comme une porte battante que l’on vient de pousser : on a le temps d’entrevoir des bribes furtives avant que cela se referme, pas plus. On n’est pas certain de ce que l’on a vu, on aurait du mal à en rendre compte, mais on ne peut pas en douter, car cela a fait venir un courant d’air, un rafraîchissement soudain dans la pièce, et l’on constate qu’il y a infiniment plus de lumière que tout ce que l’on nous a raconté. Nous venons de l’entrevoir par la porte d’un tableau, par le silence entre deux notes de musique ou par la fenêtre grande ouverte d’un livre ou d’une seule phrase, comme celle d’André d’Hôtel que j’aime beaucoup : « J’entendis soudain une porte claquer au fond du ciel » .

F. :  Vous portez une grande attention au réel…
C.B. :Le paradis, c’est le présent, ce qui nous fait face. Voir cela s’apprend. C’est la vie qui vous taille et vous découpe les yeux avec son petit marteau de sculpteur et ce sont les épreuves qui vous apprennent à voir. Il faut payer pour voir. J’aime beaucoup « La petite châtelaine » de Camille Claudel, il se passe beaucoup de choses dans ses yeux, on peut penser en la voyant qu’elle est l’image parfaite de ce à quoi nous pouvons aspirer. Et si nous laissons la vie faire son travail elle nous donnera ce visage-là, à la fois espérant, presque méfiant, crédule et malgré tout, ouvert. C’est la vie qui est le sculpteur, et nous qui sommes la matière brute Voilà, après un grand détour, je viens de répondre à votre première question. Il n’y a pas d’artiste, c’est la vie qui est le seul artiste et c’est nous qui sommes ses matériaux plus au moins dociles ou réfractaires

F. : Pourtant vous avez une manière particulière de nous transmettre votre vision, et c’est ce regard unique qui fait votre personnalité et votre talent, en sachant vous mettre en harmonie avec ce que vous percevez…et parvenez à transmettre…
C.B. : J’aimerais offrir à la vie la matière la plus docile à sa volonté. C’est comme les galets au bord de l’eau, ils sont de tailles différentes, ils ont en commun d’avoir été usé par la mer, mais certains galets sont plus purs que les autres et cela c’est inexplicable…

F. :  Vous aimez parfois visiter des expositions ?
C.B. : Je suis très embarrassé avec la notion d’art et d’artiste. Est-ce que Jean Sébastien Bach est un artiste ? Sa musique est essentiellement obsessionnelle, son angoisse est si puissante qu’il a inventé génialement une réponse méthodique à cette angoisse, il a fait venir toutes les armées célestes pour y faire face, il faut supposer que le combat est sans fin car sa musique est sans fin, elle est extrêmement apaisante, mais si je pense à lui comme un artiste, ce mot va écraser tout le sentiment que j’en ai. Je pense que chacun fait ce qu’il peut et que le substrat premier c’est l’angoisse, c’est la crainte, le sentiment d’abandon, le sentiment enfantin de devoir traverser un couloir la nuit est partagé par tout le monde, dans tous les pays, depuis toujours. Et ce que l’on appelle l’art, c’est juste une réponse, une manière de siffler dans le noir pour que le cœur ne se décroche pas dans la poitrine, pour que la peur ne vous envahisse pas trop. C’est cela que j’entends dans Jean-Sébastien Bach, mais c’est aussi cela que je peux ressentir devant la surnaturelle joie des papiers découpés de Matisse. Cette œuvre s’arrache à quelque chose de ténébreux. Parfois la lutte est gagnée. Matisse est un des rares soldats de cette guerre-là que chacun mène avec sa propre mélancolie, avec son propre sentiment d’abandon et de détresse, un des rares qui a gagné la bataille que chacun mène avec sa vie…

F. : Il a retrouvé son regard émerveillé d’enfant, vers la fin de sa vie…
C.B : Alors que la maladie lui avait beaucoup pris et que dehors c’était la guerre mondiale, il a gagné la guerre spirituelle qui est bien plus longue et insistante que l’autre. Jean-Sébastien Bach a aussi fait cette percée dans l’ennemie….

F. : Certains poètes vous ont-ils inspiré plus que d’autres ?
C.B. :Deux hommes qui ne sont plus de ce monde, Jean Gros jean et André d’Hôtel, ils ne ressemblent à personne, l’un va dans les terrains vagues et l’autre dans l’évangile de St Jean mais chacun en ramène des fleurs simples qui ont de grandes vertus curatives. Les poètes ce sont les vrais pharmaciens, ils fabriquent des remèdes qui peuvent réveiller un mort. La poésie est une douceur violente, une attention intraitable, un travail qui ne connaît aucune relâche et la chose la plus dure de ce monde contrairement à l’image que l’on peut avoir d’elle. La poésie ne supporte pas l’abstraction, la morale, l’idéologie ou le religieux au sens institutionnel. La vie ou Dieu, qui sont comme des jumeaux qui dorment dans le même lit, ne supportent pas la plus légère imprécision. La poésie c’est une minutie exigeante ; rien n’est plus concret que la beauté et la poésie…

F. : C’est de la broderie, et si un mot n’est pas à sa place…
C.B. : Tout s’écroule…

F. : Dans «  La Dame Blanche », votre dernier roman, vous parlez de « La lumineuse douleur de vivre », et cela exprime bien vos propos et le sens de votre travail. Notre condition humaine oscille sans cesse entre la douceur et la douleur, et c’est par la douleur que l’on exprime les plus belles lumières…
C.B. : Selon Pascal, tout l’art de la pensée et de la vie c’est de trouver la bonne distance. Il donne l’exemple d’un tableau : trop près ou trop loin on ne le voit pas, ou mal. Qu’elle est l’exacte mesure ? La réponse est à chaque fois différente, il n’y a pas de règle…

L’instant est unique et précieux. Christian Bobin évoque son sentiment sur l’art, avec cette attention, cette juste distance et cette subtilité poétique qui le caractérisent. Jamais l’expression « recueillir des propos » n’a résonné aussi fort et eu autant de sens. Le récit de sa « Dame Blanche », la poétesse Emily Dickinson, distille cette même magie, en incarnant un personnage atypique, libre, à la fois fragile, courageuse et talentueuse dans sa manière de vivre, créant son existence à la force d’une foi intérieure et son amour des autres. En racontant cette biographie fusionnelle et spirituelle, Christian Bobin nous parle aussi de lui, tant ils sont jumeaux dans leurs manières de vivre.

Article paru dans « Univers des Arts. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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