La divine Amanda raconte son « divin Dali »
La divine Amanda raconte son « divin Dali »
Personnage médiatique flamboyant, Amanda Lear, à l’image de son Maître Dali, cache sous le maquillage une femme passionnée, sensible, et lucide sur la vie, l’art et ses contemporains. Victime de sa popularité, et de son physique, nous la connaissons principalement, malgré elle, au travers de sa personnalité extérieure. Aujourd’hui, désireuse de se libérer de la double emprise qu’exerce sur elle sa célébrité, et les propos parfois erronés divulgués sur Salvador Dali, elle s’exprime en toute liberté, jouant la carte du « tout atout cœur ». « Son » Dali », nous touche, nous séduit, et nous passionne. On a écrit sur ce peintre, figure emblématique du mouvement surréaliste, tant de choses sans fondements, qu’Amanda Lear souligne avec humour : « Il suffisait pour certains de le croiser dans un ascenseur pour qu’ils écrivent une biographie sur lui ! »
D’une parole vive, directe et rieuse, elle me raconte sa vie atypique et sa passion de la peinture : un vrai bonheur !
Françoise : Quelle est votre attitude face à la création contemporaine ?
Amanda Lear : Je vais surtout revoir les classiques, je fréquente avec un grand plaisir les musées comme celui de Florence, ou le Prado en Espagne. J’ai eu une grande émotion au Musée de l’Ermitage à Saint- Pétersbourg. J’aime beaucoup les impressionnistes. Si l’art contemporain c’est Picasso, d’accord, par contre Hartung ou même Andy Warhol, n’ont pas de grand intérêt pour moi, à part Bacon. Il habitait en face de chez moi à Londres. De ma fenêtre, je le voyais évoluer en titubant. D’ailleurs Dali l’aimait beaucoup, il le qualifiait de très « british! », il s’exclamait à son propos : « Quel goût exquis ! ». Il pensait qu’il était un excellent « intérior décorator ! ». Il admirait le touché de sa peinture, il appréciait ses nuances, particulièrement ses verts d’eau pastels. En fait, j’aime la tradition de la grande peinture, comme Gauguin, Vuillard ou Bonnard. J’aime avant tout la couleur, la couleur, la couleur ! »
F. : Quelle influence a eu Dali dans vos choix en peinture ?
A. L. : Avec Dali, j’ai beaucoup étudié l’école américaine comme Malcom Morley*. J’adore l’hyperréalisme et le trompe-l’œil, j’admire la virtuosité en peinture. Mais il faut avouer que Dali a saboté mes idoles ! À cette époque, je suivais aveuglément mon Maître. Ce n’est qu’en étant seule, que j’ai redécouvert toute la peinture que j’aimais. Pourtant, avec lui, j’ai été à une très bonne école. Je le regardais peindre pendant des mois
F. : Vous-même vous peignez. Comment avez-vous commencé ?
A.L. : J’ai fait l’école des Beaux-Arts à Londres. Dali me disait : « Ne me montrez pas votre peinture ! » Il avait un côté provocateur, il pensait : il n’y a jamais eu de femmes peintres ! ». Dix ans après ses déclarations, il m’a dit : « Pour vous calmer, voici une toile blanche, mettez vous dans un coin et peignez ». Et son verdict à été: « Pour une femme c’est pas mal ! ».
F. : Heureusement, il n’a pas réussi à vous décourager !
A.L. : J’aimerais consacrer ma vie à la peinture et en vivre. Mais je suis victime du syndrome de Ludmilla Tchérina. On ne voit que mon personnage de spectacle et on me dit : « Vous peignez aussi ? » J’aime profondément l’art. D’ailleurs j’ai proposé à de multiples chaînes de télévision de présenter une émission, j’aurais interviewé des artistes, mais à chaque fois j’ai eu la remarque que cela ennuierait les gens ! Si bien que l’on se retrouve avec une pauvreté lamentable de programmes à la télévision !
F. : Dans votre livre, vous voulez démonter la fausse image de Dali?
A.L. : C’est exactement cela. J’ai voulu raconter mon Dali, celui que j’ai côtoyé pendant des années, réhabiliter l’homme véritable, et casser l’image du peintre commercial que certains ont donné de lui, et qui l’appelait « L’Avida dollars ».
Et, c’est en effet ce qu’elle fait, avec humour, honnêteté, lucidité et beaucoup d’amour. Le livre d’Amanda Lear est un vrai plaisir de lecture. On y retrouve tout l’univers des années soixante-dix, sa folie, mais aussi sa semence révolutionnaire de pensées et de créativité qu’elles ont produites quoiqu’on en dise, et dont Salvador Dali est une incarnation et un icône. Elle rencontre Dali en 1965 chez Castel à Paris. Ce n’est pas le coup de foudre ! Pourtant elle s’était intéressée à ses œuvres bien avant. Elle trouve le personnage un peu ridicule dans son comportement : « Comment un aussi grand peintre, pouvait-il se conduire de manière aussi puérile, s’entourer d’imbéciles, être parfaitement infatué ? » Sa première discussion sur la peinture avec Dali est historique ! « Vous faites de la peinture, c’est terrible ! Le pire ce sont les femmes peintres. Les femmes n’ont aucun talent ». On ne peut que la féliciter d’avoir compris tout le génie et la provocation que véhiculait Dali et d’avoir su faire la part des choses. Le premier compliment de Dali envers elle, sera: « Vous avez une très jolie tête de mort ! » Bref, tout présageait une fidèle amitié de quinze ans !
Plus qu’un livre d’anecdotes sur la vie de Dali, le récit d’Amanda Lear raconte tous les détails importants de l’existence du peintre. Ses manies, ses enthousiasmes, ses travers, ses exubérances, mais aussi et surtout, ses goûts en peinture et ses choix, la finesse de son esprit, sa manière de travailler, et tout simplement de vivre. Un être attachant se dégage de ce portrait vibrant et intime. Dali, qui se disait génial, que l’on qualifiait de narcissique à l’extrême, a su lui dire un jour en la voyant triste, avec l’élégance du cœur : « J’aimerais que vous soyez heureuse, je crois bien que vous êtes un archétype ; vous êtes unique. »
C’est en effet ce que l’on ressent, en parcourant cette double biographie. On se sent nostalgique de cette vie où le mot « célébrités », désignait encore des êtres porteurs d’une authentique singularité, empreinte de tous les talents qu’elle exige…
Univers des Arts.
* Malcolm Morley : Né à Londres en 1931, chef de file de l’hyperréalisme américain.
Mon Dali, Amanda Lear, Editeur : Michel LAFON